Visite des « Baugruppen » de Tübingen et du quartier français avec Mme Andréa Bachmann, guide et journaliste et déjeuner dans un restaurant du Quartier français avec Mme Gabriele Steffen, ancien maire de la ville à l’époque du démarrage de l’opération.
Vrai challenge réussi que cette opération de réaménagement urbain dont l’originalité a été de s’appuyer sur l’autopromotion : depuis l’acquisition en 1995 de la friche militaire jusqu’en 2006, on a construit une véritable ville en dix ans!
Quelques bâtiments militaires ont été rasés, mais beaucoup ont été réhabilités.
Exemple d’une reconversion en Université populaire, (devant laquelle le rendez-vous a été pris). « tout habitant de Tubingen va au moins une fois dans sa vie à l’ Université populaire !! » la Place a été refaite et transformée en terrain de jeu, illustrant une très belle réussite d’espace public. Le bâtiment d’à coté, anciennement « mess des officiers », a été, lui aussi, reconverti en un restaurant géré par une association d’insertion pour handicapés : le restaurant est très fréquenté et offre des repas à des prix très abordables …
L’été, c’est un « bier garten » très prisé.
On traverse un « baugruppe », au cahier des charges duquel a été proposé une école maternelle. Cet exemple permet de rappeler que la procedure a été la selection par la collectivité des groupes constitués candidats, qui avaient six mois pour réfléchir sur un foncier proposé ( après foire aux projets et démarches participatives). La qualité du programme et de ce type de proposition comptait dans la sélection opérée : il s’agissait d’ appliquer le principe que le cout n’était pas le seul critère dont tenir compte mais que l’enjeu était de contribuer à la qualité de vie pour tout le quartier.
On note ici la multifonctionnalité de l’espace public : le coeur de la parcelle étant multiusage et servant à la fois de passage traversant pour aller d’une rue à l’autre, de jardin pour le baugruppe et de cour d’école, le jour ( les habitants en acceptant la nuisance sonore).
En débat dans le groupe : la question sécuritaire et du controle social : par exemple, savoir des « passants inconnus » traverser une cour d’école serait inconcevable en France…
Illustration du Masterplan, on déambule dans de véritables rues, avec boutiques, locaux de service, témoignant de la réussite de l’objectif fixé, d’une polyfonctionnalité destinée à faire ville. Le masterplan, cependant,ne règle pas tout, puisque l’installation de commerces implique une clientèle suffisante pour qu’il vive.
On passe devant une ancienne écurie, dont on sent l’esprit de « reconversion de patrimoine industriel »
D’ailleurs, plusieurs cabinets d’architectes y sont installés.
On tourne autour d’un baugruppe, le module 24, dont la particularité est d’avoir integré le plan libre, à son cahier des charges, permettant de s’adapter aux habitants successifs qui peuvent déplacer les cloisons et même les pièces d’eau ! Certains autopromotteurs ont construit deux logements, un pour habiter et un pour louer
En débat dans le groupe : le constat que le modèle économique reste liberal et que la question du spéculatif sur le logement n’a été que différé dans le temps : les gens ont pu construire des logements de manière plus économique grace au terrain vendu à bas prix par la collectivité et par le principe de l’autopromotion, évitant le surcout d’un ou plusieurs intermédiaire, mais beaucoup revendent et les prix grimpent dans le quartier !!
En Allemagne, il y a des aides pour construire du logement dit « social » mais après 20 ans, ce parc de logement rejoint celui du parc à prix libre.
En débat dans le groupe, cette question essentielle à résoudre pour l’habitat coopératif : celle de pérenniser les objectifs fixes au depart : comment transmettre sans que les prix augmentent ? Ici, les reserves foncières ont été un outil d’urbanisme, certes, mais la solution des baux emphytéotiques n’a pas été utilisée : la vente du foncier était la condition pour la realisation des infrastructures par la collectivité
En Question : il y a t il eu, au delà de l’autopromotion, de l’autoconstruction ?
La visite continue avec la rencontre d’une association qui gère un « family center », Elkiko, un lieu public, en rez de chaussée d’un baugruppe, ouvert aux familles dans lequel est installé un lieu pour les enfants, à la croisée d’une crèche t d’une halte-garderie, qui sert aussi de point de rencontres de nourrices privées, qui s’y retrouvent avec les enfants qu’elles gardent.
L’équipement répond à une demande sociale, celle de l’isolement des mères, à leur arrivée à Tubingen : beaucoup de jeunes familles arrivent sans réseau social, coupées de leur propre famille, sans parents ou grands parents pour aider à la garde des enfants..
Le centre accueille aussi des moments dédiés à des communautés spécifiques : par ex un café espagnol hebdomadaire, une journée par mois pour les familles avec enfants trisomiques, ou pour des familles portugaises …il y eut aussi un accueil des réfugiés mais ce dernier se fit surtout dans un gymnase, les enfants viennent pour jouer : le projet souligne cette réalité que le jeu se partage, au delà des langues et le rire est communicatif!
Le groupe est très chaleureusement accueilli et reçu par deux des responsables et une de leur fille qui y a passé des années d’enfance.
À la question posée de la place prise par les pères, une réponse un peu malicieuse, pour constater qu’ils ont été surtout presents au moment des travaux…
Il existe une cinquantaine de centres ce type en Allemagne, celui ci est le seul pour Tubingen). Celui ci a vu le jour notamment grace à une des mères qui venait d’une autre ville, où elle avait participé à la création d’un de ces centres pionniers,
Le projet est à remettre dans son contexte : c’est un groupe de militantes engagées dans le mouvement féministe politique des « Mutterforum ».
Au démarrage, toutes étaient bénévoles, puis il y eut une première salariée, puis d’autres.
La salle de séjour est accueillante, et on y trouve parfois jusqu’à trente personnes.
L’anecdote du gamin de 5 ans qui est venu faire visiter le centre à son nouveau copain comme si c’était sa maison en dit long… ( un parallèle est à faire avec l’ AMAP, dont les adhérents se sentent chez eux au jardin ).
La 2eme Visite qui conclut la matinée est celle d’un centre type repaircafé/Emmaüs, avec une boutique et un magasin « Retour », où on recycle en donnant une deuxième vie à des meubles et objets. Le centre offre une vingtaine d’emplois de réinsertion à des chômeurs de longue durée. Ce type d’équipement associatif a l’avantage, comme le family center d’attirer une clientèle de toute la ville, bien au delà du seul quartier.
Même constat que dans les autres pays d’Europe : le recyclage est tendance : effet de mode ou engagement écologique pour les valeurs de la décroissance, le résultat est le même : ce type de commerce attire de plus en plus de monde. Le service offert va jusqu’à livrer les meubles, car ici, les étudiants n’ont pas de voiture !
La structure n’est pas propriétaire des murs et paie au baugruppe un loyer normal.
Le groupe quitte le quartier « Loretto » et rejoint par une petite marche le « quartier français », où l’ attendait MMe Gabriele Steffen, ancien maire de Tübingen, à l’initiative de ce processus d’aménagement démocratique dans le cadre d’un renouvellement urbain engage dans les années 1995 ( cf article ci annexé)
Laissons MMe Gabriele Steffen évoquer le contexte : « Le sud de Tübingen, qui abritait la garnison française, était coupé du reste de la ville par la rivière Neckar, le chemin de fer, et deux axes routiers très fréquentés. Outre la présence de l’armée française, ce quartier concentrait les activités polluantes et génératrices de nuisances visuelles ou sonores (usine à gaz, industrie, gare de marchandises…). Il abritait également les populations les plus démunies ». Ainsi, bien que très proche du centre-ville, ce quartier, a toujours été « à part », de l’autre côté, un « au-delà » . Il était, au sens propre, souvent re-gardé de haut par ceux qui vivaient dans les quartiers résidentiels situés sur les collines au nord de la ville.
On Constate effectivement la coupure de la grande voie de circulation entre Loretto et le quartier français.
MMe Steffen a pu exposer la volonté communale, les enjeux de mixité sociale, de mixité fonctionnelle et de reconversion d’une friche militaire et industrielle, saisie comme une opportunité, un patrimoine levier de développement (parallèle avec les démarches initiées en France des Pôles d’économie du Patrimoine, PEP, initiées par la DATAR en 1996.
Ce fut un véritable challenge d’exproprier l’État sur 60 hectares! L’opération a nécessité et permis l’apprentissage d’un partenariat avec l’ État, le ministère de la Défense, le Land, la commune et l’ Université et même le chemin de fer.
Les 5 principes directeurs en ont été : la mixité fonctionnelle / la préservation d’un espace public sans voiture/ le transgénérationnel/ La participation/la coopération interministérielle.
En débat dans le groupe : le non usage du bail amphithéotique et de la conservation de la maitrise foncière, pour lutter contre le spéculatif. Pour Gabriele Steffen, c’est une question d’époque . En 1996, on était déjà pionnier à lutter contre la hausse des prix du logement et à proposer du terrain à bas coût. Le foncier fut l’outil pour permettre un accès au logement à tous.
Mme Gabriele Steffen aura le mot de conclusion de cette discussion: l’habitat participatif n’est intéressant que si la finalité n’est pas « pour soi », « sinon, ça ne vaut pas le coup! » : en jeu, il s’agit bien de dépasser la seule question de vouloir se loger, mais vouloir faire ville, ensemble.
La visite de l’après midi fut celle d’un jardin partagé entre plusieurs baugruppen, à l’échelle d’une parcelle toute entière.
Rencontre avec la paysagiste qui l’a dessiné et qui habite sur place. Elle analyse son apport dans la création d’une troisième dimension, notamment en plantant des arbres : permettre de s’assoir sous les arbres, traiter la lumière, dessiner un jardin, jouer avec les couleurs avec des fleurs et ! le parti fut celui d’un grand espace libre au milieu et de protéger les jardins privatifs avec une hiérarchie du privé au public. Parti pris aussi de ne pas mettre de mobilier de jeu mais de concevoir des espaces de jeu avec des matériaux naturels.
Un débat s’engage dans le groupe qui s’étonne de l’absence de demande de jardin nourricier, (cultures vivrières), tellement la tendance d’aujourd’hui dans les jardins partagés est de ce type.
15 ans plus tard, les enfants ont grandi et la demande est plutôt celle des 65 ans, qui s’intéressent non pas à un potager mais à un barbecue! Aujourd’hui, le jardin est plus vu du point de vue de son entretien et du cout de ce dernier !
Le recours à un paysagiste pour les aménagements de parcelle s’est généralisé, mais à l’époque, ce fut une première.
Au bout de dix ans, l’architecte paysagiste reconnait sentir une certaine usure pour cette pratique, dont la dimension participative est certes riche, mais chronophage.
Anecdotique (encore que !), on nous signale dans l’angle gauche un baugruppe assez atypique, construit par seulement deux familles : en fait, il s’agissait de répondre au cas particulier d’une famille recomposée, à qui le parti pris architectural a été de composer une maison en trois parties.
Direction : le parking à étages : La délicate question des voitures en débat.
C’était un des cinq principes du projet. Le masterplan prévoyait de limiter la circulation des voitures à l’intérieur du quartier et avait donc prévu de regrouper leurs stockage en périphérie dans des immenses parking à étages, où la présentation de la voiture est automatisée, comme dans les ports à secs, pour les bateaux.
Dans les faits et dans la durée, c’est difficile à tenir et les nouveaux quartiers ont abandonné le principe pour en revenir a un parking souterrain sous le baugruppe.
On quitte le quartier français, en tournant le dos au quartier d’autoconstruction, dit « terrain des alternatifs », où vivent des dizaines de familles dans des cars, caravanes, cabanons, yourtes cabanes, sans aucun raccordement aux réseaux. Cette proximité est un des paradoxes !
Autre paradoxe, qui donne, en conclusion de la visite, au projet Erasmus+ Cooper’actif « Habiter ensemble autrement demain », un nouveau challenge : rendez-vous pris, en mai 2020, pour faire des élèves français et polonais qui doivent venir en faire la visite les futurs ambassadeurs et guides des lycéens de Tubingen. Tel le proverbe du cordonnier le plus mal chaussé, en effet, ces derniers semblent tout ignorer de cette notoriété pour laquelle on vient de l’ Europe entière visiter une expérience unique d’urbanisme démocratique.