Coronavirus : « Cette crise nous invite à penser la ville des proximités », Luc Gwiazdzinski

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Pour le géographe Luc Gwiazdzinski, il faut repenser l’organisation de la ville et développer une palette de services à l’échelle de chaque quartier.  Par Laetitia Van Eeckhout .

Luc Gwiazdzinski est enseignant-chercheur en aménagement et urbanisme à l’université Grenoble-Alpes, coauteur de Saturations. Individus, collectifs, organisations et territoires à l’épreuve (Elya éditions, 2020). Cette crise sanitaire « inattendue » doit nous conduire à repenser la ville pour qu’elle facilite l’accès à des services de proximité et favorise mixité et « intensité » urbaine, explique le géographe.

Comment la crise a-t-elle redessiné les voies d’acheminement des marchandises en ville ?

Il faut d’abord rappeler que la chaîne logistique reste robuste, alors qu’une partie du système urbain est à l’arrêt. C’est grâce à elle que les citoyens confinés tiennent le coup. C’est grâce aux hommes et aux femmes qui travaillent – et prennent des risques – dans ces services que nos villes restent habitables.

Ensuite, la crise sanitaire amplifie certaines évolutions qui étaient déjà perceptibles. Les sites de commandes et services de livraison à domicile des enseignes alimentaires sont saturés. On voit même de plus en plus de consommateurs d’un même immeuble se regrouper pour passer commande et se faire livrer des palettes de produits, ce qui est vraiment nouveau. Dans le même temps, les « drive » font florès, notamment dans les villes moyennes.

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Les hypermarchés semblent avoir tiré leur épingle du jeu avec le développement de ce type de service permettant rapidité et peu de contacts. Alors que les marchés sont interdits, on voit aussi se développer des « drive fermiers » sur les parkings, les places ou chez les paysans eux-mêmes. Pour répondre à la demande en produits frais de la population, producteurs, maraîchers, éleveurs se regroupent – ce qui n’allait pas de soi jusque-là.

Si les « drive » en zone périurbaine se développent, la dépendance à l’automobile risque de perdurer…

Il est sûr que cela interroge. Mais les « drive » ne sont pas les seuls éléments à prendre en compte. A court terme, il est possible que ce soit la voiture ou le vélo qui sortent gagnants, par rapport à la marche ou à l’espace confiné des transports en commun. La voiture parce qu’elle permet de poursuivre le confinement familial, le vélo parce qu’il minimise les risques de contact. De nombreuses métropoles européennes comme Bruxelles, Berlin ou Paris profitent déjà des espaces dégagés pour élargir les pistes cyclables ou en développer de nouvelles – même temporaires – et semblent vouloir donner une place particulière au vélo lors du déconfinement et après.

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Au-delà des adaptations de circonstance et des volontés de développer les mobilités durables, il faut aussi s’inscrire sur le long terme et penser en termes de continuité spatiale. On vit depuis des décennies dans des archipels métropolitains éclatés, où les zones d’approvisionnement, d’habitation et de travail sont séparées, avec des mobilités qui profitent surtout à la voiture. Cette crise sanitaire porte à réfléchir à un retour d’une politique d’aménagement du territoire à long terme, avec la relocalisation de certaines productions et services. Et, à l’échelle des villes, elle amène naturellement à réfléchir à la nécessité de ramener certains commerces et services publics dans les quartiers.

Cette critique est déjà ancienne…

Elle ne date effectivement pas de la crise sanitaire. D’ailleurs, le mouvement des « gilets jaunes » a exprimé, à sa façon, les limites et les conséquences négatives d’un mode de vie périurbain. Mais chercher à rééquilibrer un territoire et dynamiser un centre-ville nécessite un projet politique à long terme et du volontarisme. Les opérations du plan national Action cœurs de ville, qui visent à revitaliser les centres-villes, se résument encore souvent à une duplication, en plus petit, des solutions mises en œuvre dans les grandes villes et les porteurs de projets ont bien du mal à contrer les logiques centrifuges des centres commerciaux.

Faut-il aller vers la « ville du quart d’heure », où tous les services essentiels sont dans un rayon de quinze minutes ?

Oui, à condition que ce concept s’accompagne d’une ouverture sur la ville et sur le monde – urbi et orbi – et non d’un repli. Il faut réinventer une organisation de la ville, pour qu’elle favorise la proximité et une mobilité raisonnée, avec une palette de services de base à l’échelle des quartiers. On doit avoir une bonne accessibilité à pied – ou à vélo – de l’offre urbaine, tant pour les services que pour une production agricole diversifiée.

Il faudrait, par exemple, introduire une dimension temporelle dans les documents d’urbanisme, en empêchant de construire des habitations à plus de 10-15 minutes à pied de pôles de services et vice-versa. Ce n’est pas tant une question d’adaptation des transports et de la logistique qu’une question de localisation des activités. Cette crise nous invite à développer un « urbanisme des temps » autour de l’idée de ville « malléable », en jouant à la fois sur l’énergie, l’espace et sur le temps.

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Une ville « malléable » ?

L’idée est d’optimiser l’espace par la polyvalence et la modularité. Par exemple, une place publique peut servir de terrain de sport à un moment, de marché à un autre, de parking la nuit… La ville malléable conduit à repenser les fonctions urbaines de telle façon qu’elles puissent se succéder au fil des jours, des semaines ou des mois sur un même espace, dans un même quartier ou bâtiment, plutôt que de les localiser en périphérie dans des bâtiments monofonctionnels.

Cette approche temporelle permet d’élargir le champ des services et de favoriser la densification de la ville, d’éviter qu’elle s’éparpille. Elle peut aussi contribuer à une diminution des pics d’entrée et de sortie des agglomérations et limiter les saturations en jouant sur un décalage des horaires de travail le matin et le soir.

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A l’instar d’un marchand de meubles suédois, qui propose des solutions convertibles pour un espace limité, la ville malléable vise à limiter la consommation d’espace ainsi qu’à favoriser la mixité et l’intensité urbaine, tout en facilitant l’accès à un certain nombre de services, notamment pour les plus fragiles. Elle peut être pensée comme une salle polyvalente et s’appuyer sur le numérique et sur les TIC (technologies de l’information et de la communication) pour construire une nouvelle intelligence urbaine partagée, plutôt que du contrôle.

C’est la ville dans son essence même et nos capacités à vivre ensemble qui sont impactées par le Covid-19. La pandémie met la cité et l’urbanité à l’épreuve. Ce virus est antiurbain, car il tue la rencontre. Mais cet événement inattendu nous oblige à nous mobiliser pour repenser ensemble la ville de demain et qu’elle redevienne la « ville du frottement », de la rencontre.

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